• Texte fort / texte faible

    Colloques et conférences 

     JEAN-FREDERIC CHEVALLIER & MATTHIEU MEVEL

     Article publié dans la revue Registres n°14

     Dramaturgie au présent

     (coord. Joseph Danan)

     Presses de la Sorbonne Nouvelle, Paris, 2010

     pp. 42-53

     ISBN : 978-2-87854-477-0

     

    Quelque chose a changé dans l'écriture “dramatique” contemporaine. Désormais, nombre de dramaturges passent outre les figures classiques telles que narration, drame, conflit, personnage... [1] Dans ces circonstances, on peut se demander : qu'est-ce, aujourd'hui, qu'un texte de théâtre ? Ne pourrait-on pas convenir, très concrètement, qu'il s'agit d'un texte écrit pour le théâtre ? Un matériau textuel qu'un metteur en scène lance sur le plateau ? La partition de mots que disent des acteurs, ou même, la partition d’actes que ces derniers opèrent ?

    Ce qui est sûr, c’est que le texte de théâtre n’est plus nécessairement au centre du geste théâtral (de fait, il n'y a plus de centre à occuper) ; il est l’un des éléments entrant en jeu dans l’ordonnancement de l’artefact. Concomitamment à un tel déplacement, on pourrait déplorer la crise du langage, ou celle des significations héritées ; mais on peut aussi se réjouir de la légèreté qui surgit sur les scènes contemporaines : les pratiques artistiques composent désormais sans a priori ; l'attention se dirige vers la présence des corps, vers ce qui, depuis la matière, se présente ici et maintenant. De même pour le texte : ce qu'il met en mouvement relève bien davantage de la présentation d'une matière-son que de la représentation par des mots-significations.

    Reste que, si la parole est une matière parmi d’autres, des mots sont encore, et souvent, prononcés sur les plateaux. Dans quelle mesure, alors, ces mots-là activent-ils (excitent-ils) l’événement de présentation ? Comment la parole des acteurs peut-elle devenir un appel à davantage d’ici et maintenant ? Dans cette sorte de concert polyphonique que devient l’acte théâtral, en quoi cette parole invite-t-elle à exposer davantage — à poser hors de soi, à l’extérieur — les autres branchements qui se créent à partir des autres éléments entrant en jeu dans la composition ? Dans quelle mesure le fait que la parole au théâtre ne soit plus la seule à opérer est-elle une chance pour le texte théâtral ? Et dans quelle mesure le décentrement du texte théâtral est-il une chance pour la langue (une disposition de mots pour éveiller la splendeur du senti) ?

     

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    [1] Non pas que ce dernier soit devenu inutile, mais plutôt qu’il se donne maintenant comme l’un des éléments composant l’évènement scénique agencé à d’autres groupes d’éléments : le travail actoral, l’organisation spatiale, la composition musicale, le dispositif d’éclairage, etc. Un texte écrit pour un théâtre d’après le drame est un texte qui abandonne toute prétention à diriger le processus théâtral. Il n’est plus question d’illustrer le vouloir-dire du dramaturge, ni d’interpréter des “personnages” qui préexisteraient sur le papier, encore moins de chercher la façon “la plus fidèle” de représenter “un texte”. De manière semblable, le spectateur ne vient pas pour “comprendre” le texte ou l’histoire racontée par le texte. Il ne vient pas non plus écouter une leçon de vie, celle de l’auteur ou celle du metteur en scène. Le texte n’a en somme ni plus ni moins d’importance que tout ce qui se présente au regard du spectateur. Donc il est de grande importance…